Je ne connais pas une seule personne qui ne soit pas blessée d’une façon ou d’une autre. Certains d’entre nous sont capables de cacher leurs blessures, tandis que chez d’autres elles sont très apparentes. Pendant les vingt dernières années, et plus récemment chez The Dale Ministries, j’ai accompagné des gens qui doivent gérer des situations difficiles à cacher : être mal logé, aux prises avec un problème de toxicomanie ou d’importants troubles de santé mentale. Je considère ces gens comme des amis et je leur suis reconnaissante de m’avoir acceptée malgré mes propres défis — des défis qui sont peut-être un peu plus socialement acceptables, mais non moins réels. Une femme du nom de « Rose » fait partie de mes amis. Voici son histoire.
Rose a grandi dans un foyer où la violence physique, psychologique et sexuelle était courante. Une fois, elle a été frappée avec un 2×4 simplement parce qu’elle était revenue de l’école avec cinq minutes de retard; on lui a souvent dit qu’elle était une vaurienne; elle a été violée. Sa résolution de démontrer sa valeur intrinsèque a fait place à la résignation : « s’ils croient vraiment que je suis nulle, alors ça doit être vrai ». Rose a décidé de se sauver vers le seul endroit qui lui semblait gage de « liberté » : les rues de Toronto, où elle a commencé à vivre sous un pont dans une maison faite de panneaux abandonnés et de quelques sacs de couchage. Cette maison était froide, humide, bruyante et (du moins dans son esprit) plus sûre que celle qu’elle avait fuie.
Rose pensait que, dans la rue, personne n’essaierait de lui faire du mal. Elle a vite réalisé son erreur. Rose a mendié et s’est livrée à la prostitution afin d’avoir suffisamment d’argent pour s’acheter de la nourriture. Avec le temps, la seule façon de s’en sortir a été la toxicomanie — elle pouvait ainsi engourdir sa souffrance, et ses larmes semblaient se tarir. Rose se rappelle qu’elle savait que la société la méprisait, mais qu’elle ne pouvait voir aucune issue. Elle était prise au piège, seule, meurtrie et jugée.
Aujourd’hui, Rose a trouvé un logement, c’est son 35e jour sans fumer et elle est assise à sa PROPRE table de cuisine où elle vient de m’offrir un thé servi dans une des tasses de porcelaine de sa grand-mère. Qu’est-ce qui a causé ce changement? Selon les mots de Rose : elle a rencontré des gens qui ont commencé à venir la voir sous ce pont pour prendre de ses nouvelles, des gens qui se souciaient vraiment d’elle, qui disaient qu’ils voulaient l’aider et qui ont fait un suivi, qui croyaient qu’elle était importante et qu’elle avait quelque chose à leur offrir à eux aussi.
Les luttes de Rose ne sont pas finies. Son loyer est coûteux et ne lui laisse pas beaucoup d’argent pour subvenir à ses autres besoins de base; elle est rongée par les remords et se décrit parfois comme une personne « finie »; elle retombe quelquefois et doit trouver l’humilité nécessaire pour admettre ces chutes et essayer à nouveau. Heureusement, elle partage ses luttes avec sa nouvelle famille : la communauté qu’elle a trouvée chez The Dale. Je me sens privilégiée d’avoir Rose pour amie. Elle m’a beaucoup appris sur la survie en dépit de situations terribles et sur la façon d’être une personne transparente et vulnérable. Lorsque je suis confrontée à des difficultés et que j’ai besoin de m’appuyer sur elle, je sais qu’elle comprend.
C’est facile de ne pas remarquer les gens qui sont sous les ponts et au coin de la rue, tout en entretenant les perceptions et les images stéréotypées accolées aux « sans-abri ». Lorsqu’elle était enfant, Rose n’avait pas prévu d’être une travailleuse du sexe quand elle serait grande. C’est une personne intéressante, aux multiples facettes; elle aime les chats, elle fait son propre mélange de thé et elle tricote. Rose est une femme qui a vécu et qui s’accroche encore à l’espoir qu’elle a un avenir. Je suis sûre qu’elle en a un.
Mise à jour le 21 November 2014
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